Laetitia et Pierre, comme tant d’autres parents, attendent avec angoisse l’aboutissement ultime du parcours héroïque de l’évaluation en santé mentale infantile de leur enfant : le diagnostic en santé mentale.

 

Le parcours héroïque

Après avoir puisé dans les replis de leurs ressources personnelles pour supporter les délais, les listes d’attentes, les reports et les changements d’intervenants ; et ensuite s’être pliés, eux-mêmes et leur enfant, à des tests toujours plus nombreux qu’il faudra refaire, éventuellement, parce qu’un professionnel considérera que ces informations-ci sont « trop vieilles ».

Après avoir manqué plus de quarante jours de travail dans les trois dernières années ; et encore avoir jonglé, les yeux grands ouverts dans le noir, avec toutes les éventualités de tous les diagnostics en santé mentale infantile possibles au moment où le sommeil aurait dû venir les délivrer de l’épuisante angoisse ; après des années de ce régime, ils croient que le pédopsychiatre leur dira, enfin, « ce qu’il a ».

Ils veulent croire que ce médecin spécialiste le sait, comme l’orthopédiste peut savoir de quelle fracture il s’agit ou qu’un ORL peut évaluer l’angle que présentent les trompes d’Eustache dans l’oreille interne. Mais ce n’est pas le cas.

 

Une souffrance réelle, mais des diagnostics en santé mentale plutôt flous

Il n’existe aucun « marqueur biologique » susceptible de permettre un diagnostic en psychiatrie ou même d’aider à l’établir. Le diagnostic en santé mentale est entièrement clinique, c’est-à-dire qu’il repose sur des entretiens et des tests plus ou moins formalisés. Mais en aucune façon sur des examens complémentaires radiologiques ou biologiques. Le TDAH, par exemple, qui est de plus en plus contesté comme «maladie» ne repose sur aucune cause biologique ou neurologique identifiable. Même si le DSM-5, (5ième édition du Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders) la « bible des psychiatres », le nomme « trouble neurodéveloppemental », on ne connaît AUCUN marqueur neurologique qui puisse être utilisé pour déterminer un tel diagnostic. Il repose plutôt sur une série d’observations qui déterminent la « fonctionnalité » de la personne. Critère assez fragile puisqu’il repose sur la tolérance de l’entourage et de la société en général.

Le DSM est l’ouvrage produit par l’APA (American Psychological Association) et utilisé par la majorité des médecins psychiatres et l’ensemble des intervenants et intervenantes en santé mentale pour poser un diagnostic en santé mentale. Il s’agit d’une classification des maladies mentales qui en détermine les signes et symptômes. D’une certaine manière, c’est cette classification qui détermine la normalité et la pathologie dans notre société, précisément parce qu’elle est le point d’appui de la majorité des expertises psychiatriques. Quand on ajoute un « désordre » ou un « syndrôme » dans le DSM, on déplace un peu la ligne du normal et des milliers de personnes se retrouvent avec une maladie mentale parce qu’elle est maintenant décrite et nommée dans le DSM.

diagnostic en santé mentale infantileLa « crise de bacon » est dorénavant un diagnostic en santé mentale infantile

Par exemple, dans le dernier DSM-5, on trouve maintenant le trouble de dérégulation dit d’« humeur explosive ». Celui-ci s’appliquera aux enfants de 6 à 18 ans; présentant une irritabilité persistante et des épisodes fréquents de manque de contrôle du comportement. L’APA soutient que ce nouveau diagnostic vise à réduire le surdiagnostic et le traitement du trouble bipolaire chez les enfants. Il n’en demeure pas moins qu’en définitive, de nombreux enfants porteront dorénavant les stigmates d’un diagnostic en

santé mentale infantile; et seront l’objet de traitements pharmacologiques.

 

Diagnostic de TDAH

Autre exemple, le DSM-5 a abaissé le seuil d’entrée du début des troubles pour le déficit de l’attention avec hyperactivité. C’est-à-dire que plus d’enfants pourront recevoir ce diagnostic. L’enfant devait avoir manifesté certains comportements avant l’âge de 7 ans; dorénavant il pourra être diagnostiqué TDAH s’il les a manifestés avant l’âge de 12 ans. Il est évident que des milliers d’enfants supplémentaires, qui auront manifesté ces comportement seulement après 7 ans, recevront dorénavant ce diagnostic. Avant ce changement, nous aurions examiner d’autres avenues. Et suûrement d’autres façon de les aider.

Même chose pour le début des manifestations d’entrée du trouble d’anxiété généralisé : il est passé de six mois à trois mois. Et hop ! Encore quelques milliers d’enfants et d’adultes qui viennent de passer directement dans la boîte des problèmes de santé mentale. Même chose pour le deuil qui se transformera en dépression six on a de la peine pendant plus de trois mois.

L’impact des diagnostics

Or, les diagnostics ont un impact réel et énorme sur notre société. Ils influencent sérieusement la prescription des médicaments et leur remboursement. Ils déterminent également un arrêt de travail ou un retour au travail ; d’un plaidoyer de non-responsabilité à l’égard d’un crime ou d’une condamnation. C’est encore leur incidence qui détermine dans une large mesure les recherches qui seront faites (et financées). Pourquoi l’autisme rafle toutes les subventions de recherche depuis quelques années ? Parce que le nombre d’enfants diagnostiqués s’est multiplié par 20 !

santé mentale infantileTous ces diagnostics jouent également un rôle crucial dans la détermination des services. Également dans leur disponibilité, leur financement et même des programmes de formation universitaire. Je ne suis pas en train de dire qu’il faudrait moins de services et de recherches en autisme. Je suis en train de dire que ces décisions sont prises pour de mauvaises raisons; et sur des bases mercantiles plus que questionnables.

 

La santé mentale est culturelle

Il faut se rappeler qu’il est impossible d’établir une définition objective de la norme en santé mentale ; cette norme varie d’un contexte à l’autre, d’une culture à l’autre, d’une société à une autre. L’anormalité est donc quelque chose de grandement culturel ! Le seuil à partir duquel on considère qu’un comportement n’est pas normal dépend du consensus social. Et cette norme ne cesse de se rétrécir. La centaine de diagnostics possibles inscrits dans lepremier DSM a grimpé à 400 avec DSM 5. Croyez-vous vraiment que c’est parce que nos modes de dépistage sont plus efficaces ?

Cette multiplications des diagnostics parle davantage de notre rapport à la souffrance psychologique. Ce qui était considéré comme des réactions normales aux accidents de la vie font maintenant l’objet d’un diagnostic.  On prend dorénavant en charge médicalement la colère, la profonde douleur, le désespoir. Et ils font l’objet d’un traitement, leplus souvent pharmacologique. Rupture, chagrin d’amour, perte d’emploi, deuil, ces événements normaux deviennent des diagnostics. Nous sommes engagés dans la voie d’une médicalisation excessive des émotions et comportements humains. Pourtant, nous ne nous préoccupons pas des facteurs sociaux qui rendent ces événements de plus en plus souffrants.

 

Être dans la norme est-il un signe de santé?

Allen Frances, ancien professeur de psychiatrie à la Duke University, également connu pour avoir supervisé l’équipe de rédaction de la précédente édition du DSM (DSM-IV), se confiait en ces termes à ses confrères de Medscape « Le DSM‑V transforme le deuil en trouble dépressif majeur, les colères en trouble de dérégulation dit d’humeur explosive, les pertes de mémoire du grand âge en trouble neurocognitif léger, l’inquiétude de la maladie en troubles de symptômes somatiques, la gourmandise en hyperphagie boulimique, et n’importe qui souhaitant obtenir un stimulant pour un usage récréatif ou pour améliorer ses performances pourra faire valoir qu’il souffre d’un trouble du déficit de l’attention. »  N’a-t-on pas remplacé des explications d’ordre moral et social par des explications de type scientifique ? 

Il est urgent de développer d’autres modes d’évaluation et diagnostic en santé mentale. Parce qu’il me semble évident que nous nous dirigeons allègrement vers «Le meilleur des mondes» de Huxley où chacun de nous prendra une petite pilule de bonheur, après que nous aurons fait disparaître tous ceux qui refusaient d’être heureux comme tout le monde…

 

France Paradis

France collabore régulièrement au magazine Naître et grandir et au site Maman pour la vie. Elle offre un éventail de formations aux intervenants sociaux de nombreux champs de disciplines. Vous trouverez les détails ci-haut, sous l'onglet "Formations intervention sociale"

Laisser un commentaire