Devenir de meilleurs humains, c’est comme tisser une immense toile. C’est vers la fin qu’on voit le motif. À l’époque où mes enfants étaient tout-petits, je faisais du pain tous les mercredis. Du vrai pain, pétri avec mes mains et mes poings. C’est Heidi, une amie suisse, qui m’avait initiée à tous les enseignements qu’on peut trouver dans cette activité. Et ce n’était que le début. Faire du pain m’a rendue meilleure, de toutes sortes de façons. Meilleure mère, meilleure intervenante, meilleure formatrice. Une meilleure humaine, finalement.
L’attente qui nous transforme
Faire du pain prend du temps. Le temps de mélanger la farine puis la levure. Le temps de pétrissage, qu’on voudrait toujours écourter, mais qui requiert chaque minute si l’on veut obtenir un beau pain qui lève bien. Surtout du temps à attendre que la levure fasse son travail.
En faisant du pain chaque semaine, j’ai appris que rien ne remplace le temps que l’on met à créer quelque chose et la valeur qu’il donne aux choses. La fabrication du pain ne peut pas vraiment s’accélérer ou trouver un raccourci. L’attente fait partie du processus. De tous les processus; qu’il s’agisse d’élever des enfants ou de soutenir une femme qui accouche. J’ai appris qu’il « se passe quelque chose » pendant ces périodes d’attente et de silence. Quand on a compris que le processus de croissance requiert que nous nous retirions et nous taisions, alors je crois que nous devenons de meilleurs intervenants. Quand on accepte finalement que nous ne sommes pas ce qui fait arriver la vie, alors on a des chances de devenir de meilleurs humains.
La douleur des dernières minutes
Les deux dernières minutes de pétrissage sont toujours les plus longues. Parce que, rendu là, j’ai les bras morts. J’ai bien essayé de les éviter, mais le pain ne lèvera pas si on arrête avant d’avoir pétri tout le temps nécessaire.
Ces deux dernières minutes où les muscles de mes bras brûlent de douleur sont comme les deux dernières minutes de poussée à l’accouchement, quand on pense avoir tout donné déjà, mais qu’il faut continuer; les deux derniers kilomètres d’un marathon épuisant à 30° pour lequel on s’est pourtant entraîné; ou encore les deux dernières minutes de révision à la fin d’un examen de fin d’année.
Faire du pain c’est comme la vie, la parentalité et l’intervention psychosociale : il n’y a pas de raccourci. J’ai appris que le résultat est dans le processus et que ces pénibles dernières minutes sont bien plus que de la douleur. Elles sont le processus grâce auquel l’espace s’ouvre sur la suite. La douleur n’est pas la souffrance; elle est un levier qui nous soulève vers la prochaine étape. La douleur nous apprend à devenir de meilleurs humains.
Nourrir le sens des choses
Faire du pain, c’est travailler pendant trois heures sur quelque chose qui sera dévoré en 20 minutes. Beaucoup de travail et bien peu de gloire. Dans l’intervention sociale aussi, on met beaucoup d’énergie et d’attention, souvent sans jamais voir le résultat. Faire du pain m’a appris que le sens de mes actions se trouve dans le processus, pas dans le résultat. C’est au cours de toutes ces rencontres que la valeur de mon intervention se trouve, pas dans le résultat. C’est dans les milliers d’heures passées à rire et pleurer avec mes enfants que se trouve la valeur de notre lien et nulle part ailleurs, surtout pas dans leurs résultats scolaires. Voilà pourquoi faire du pain permet de devenir de meilleurs humains
Devenir de meilleurs humains
Faire du pain m’a appris l’humilité. Je peux faire tout ce qu’il faut et ça ne donne pas ce que j’espérais. Je ne suis pas celle qui contrôle la suite des choses ou leur aboutissement; mon action n’est pas le seul déterminant. Ni avec mes enfants, ni avec les personnes que j’accompagne et encore moins avec ma propre vie.
Je peux pétrir de toutes mes forces et avec tout mon coeur; y mettre tout le temps qu’il faut; le processus ne m’appartient pas. Cet apprentissage m’a aidé à faire la paix avec de nombreuses choses.
Pourquoi se donner du trouble alors que des machines existent ?
Après le pain, j’ai fait de la broderie, une autre chose « inutile » que les machines font aisément. Et après la broderie, j’ai fait du tricot; et ensuite des poupées de laine cardée. Ces dernières semaines, je me suis remise à la broderie irlandaise. Pourquoi se donner tout ce trouble alors qu’on peut passer simplement à la boulangerie ou acheter des serviettes de table brodées à la machine pour presque rien? Parce que, vous l’avez compris, il ne s’agit pas vraiment d’avoir du pain ou de la dentelle. Il s’agit de ce qui nous permet de devenir de meilleurs humains.
Ce sont les choix que l’on fait qui nous font, au final. Et dans ces choix se trouve ce que nous faisons de notre temps. Nous devenons ce que nous faisons. Qu’est-ce qui fait de vous de meilleurs humains?
« la douleur n’est pas la souffrance » que j’aime te lire France Paradis
Merci !
Tu transmets de la vie et cela fait grand bien. Merci
Merci Jean!
Chère France, Merci pour cette réflexion sur la patience et l’abnégation qui font de nous de meilleurs humains. Dans ma vie de coach en gestion, je me rappelle souvent les enseignements de mon père jardinier. Alexandre disait souvent qu’une fois que tu as semé, sarclé, nourri le sol, il faut laisser le soleil, le vent et la pluie faire leur travail. Cette leçon ne m’a jamais quittée. Elle me rappelle la patience du jardinier. Elle me rappelle que nous n’avons pas le contrôle et que c’est très bien ainsi que de faire confiance à la vie. Et quand la récolte vient, il y a ce grand plaisir de partager les légumes avec les amis et les voisins. Quel bonheur!
Merci pour ton travail inspirant!
Merci Jolyne, de partager la sagesse de votre père et de tous les jardiniers avec moi! Merci de m’écrire des mots d’encouragement; ils me font du bien! 🙂