La foi des enfants n’est jamais religieuse. Bien sûr, ils peuvent répéter des mots appris de leurs parents et liés à la pratique religieuse. Mais leur foi, celle qui leur donne le sentiment de faire partie de cette nature vivante qui les entoure; cela n’a rien de religieux. Cette foi-là plonge ses racines dans la plus ancienne de toutes les spiritualités : l’expérience d’une mystérieuse reconnaissance émerveillée.
La foi des enfants se révèle dans l’expérience de cette connexion, jamais dans l’idée que nous sommes connectés. C’était un matin d’hiver au ciel bleu et à la lumière ardente. Mon fils Joël devait avoir trois ans et nous étions au sommet de la butte de neige du parc. Nous dévalions la pente en criant de joie, puis la remontions en courant. Et le manège durait depuis plus d’une heure. Joues rouges, mitaines mouillées, le nez qui coule un peu. Pendant quelques instants au sommet, juste avant de nous relancer sur la luge, nous reprenions notre souffle, admiratifs, devant le parc avec ses arbres, ses bancs et ses jeux recouverts de neige fraîche. Pas une seule trace dans ce lac de blancheur. J’ai dit tout bas : « Que c’est beau! » Joël a alors levé la tête vers le ciel et, en ouvrant grand les bras, s’est écrié « Merci! ».
Une action de grâce… Peu importe que l’on soit catholique ou juif, musulman, ésotérique ou agnostique; on sait tous reconnaître une action de grâce. Je ne sais pas à qui ou à quoi s’adressait Joël… Est-ce si important?
La foi des enfants est d’abord une expérience
Mon ami André, ancien aumônier de prison, dit souvent que les enfants sont de grands théologiens. Ils vont à l’essentiel sans se prendre les pieds dans les codes et les règles. Ces petits savent bien distinguer la spiritualité de la religion, alors que tant de grandes personnes n’y arrivent pas. C’est parce que la foi des enfants s’enracine dans l’expérience, pas les idées.
Nathalie a huit ans et vit près de la mer, à la pointe est du Québec. Je l’ai croisée l’été dernier et notre conversation vagabondait entre son vélo tout neuf qui ne la quittait plus, sa run de journaux et la chance qu’elle a de vivre là. Après un moment de silence, pendant lequel elle s’est tournée vers la grève qu’on aperçoit un peu plus loin, elle me dit : La semaine dernière j’ai roulé à bicyclette jusqu’à la plage. Je me suis arrêtée juste au bord de l’eau. Aussi loin que je pouvais voir, il n’y avait que la mer et le ciel. Puis elle chuchote. C’était tellement beau! Et j’ai pensé que tout ça me souriait. Je veux dire… pas vraiment… mais comme si… Tu vois?
Bien sûr que je voyais ce qu’elle veut dire. Ne vous est-il jamais arrivé de ne pas trouver les mots pour raconter une expérience? Avoir l’impression que le ciel et la mer nous sourient, n’est-ce pas une expérience spirituelle?
La spiritualité, un tabou?
Beaucoup croient qu’en ne parlant jamais de la vie spirituelle aux enfants, on les laisse libres de choisir lorsqu’ils seront grands. Mais pour choisir, ne faut-il pas savoir tout ce qui existe? Au restaurant, il faut tout le menu pour faire votre choix. Sinon, vous ne sauriez pas ce que vous pouvez commander dans ce restaurant.
L’ignorance ne rend jamais libre. C’est la même chose pour la vie spirituelle. Si on ne parle jamais aux enfants de la foi et des questions spirituelles, qu’adviendra-t-il de cette dimension de leur existence qui permet de chercher (et trouver!) le sens de tant de choses dans notre vie? Nous laisserons en friche le champ fertile de leur vie intérieure, d’où sourdent, entre autres, le courage, la force et la bonté.
J’attends le jour où nous serons comme Joël et Nathalie. Capables de ressentir simplement notre communion au monde et d’en parler à voix haute. J’attends le jour où nous arrêterons de nous obstiner entre nous sur le nom que porte ou ne porte pas cette expérience de communion profonde et de mystérieux émerveillement. Ce sera le jour où nous honorerons la vie spirituelle des humains, avec ou sans religion. Nos actions seront alors sans doute inspirées par l’humilité qu’enseigne la contemplation de plus grand que nous.
Ce jour-là, Noël ne sera pas la fête des marchands.
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