Les premières semaines de vie d’un bébé sont aussi celles qui mettent au monde les parents. C’est vrai qu’il faut des années pour apprendre à être parent; mais ces premières semaines sont déterminantes pour la confiance que nous développerons en nous-mêmes. Cette confiance si essentielle pour « essayer » des affaires avec nos enfants et faire confiance à notre jugement de nouveaux parents.
Martine raconte que toute la parenté venait de passer au salon. Fred, son bébé de six semaines, trônait dans les bras de grand-maman. Au bout d’un petit moment, le petit se met à gigoter de plus en plus, en chignant. Martine se lève pour le prendre des bras de sa belle-mère, en disant à voix haute qu’il est fatigué et qu’elle va l’endormir. Mais la grand-mère se détourne d’elle et déclare que ce bébé n’a pas l’air fatigué du tout. Ce n’est ni une question ni une suggestion. Cette femme est en train de faire la leçon à une jeune mère qui est en train d’apprendre à être parent. C’est son premier bébé et la jeune mère n’est pas sûre d’elle, elle hésite puis retourne s’assoir.
Personne ne se rend compte qu’on vient de la blesser profondément et de rendre encore plus difficile sa quête pour être la mère qu’elle peut être. La grand-mère ne se rend pas compte que Martine n’ira plus jamais vers elle pour obtenir de l’aide. Parce que personne n’aime se sentir incompétent. Martine aura un peu plus de difficulté à se faire confiance. Son anxiété augmentera. Parce qu’on ne lui a pas laissé d’espace pour apprendre à être parent.
Apprendre à être parent, petit à petit
Ce récit m’a replongé dans cette époque à la fois exaltante et si fragile de la première année avec mon premier bébé. Chaque geste alors, était un coup de machette dans ma vie « sans enfants », afin d’ouvrir un sentier en friche. Je ne savais pas encore quelle mère je serais, mais j’apprenais chaque jour ce que je n’étais plus.
C’est la période de brouillard pendant laquelle on sculpte à l’aveugle notre mode de maternage. Je dis à l’aveugle, parce que le plus gros de l’apprentissage se fait par tâtonnement. Avez-vous déjà essayé de modeler un arbre, en pâte de sel avec les yeux bandés? Ce chemin est unique à chaque femme et chaque homme. Les nouveaux parents y avancent lentement, certains avec beaucoup d’assurance, d’autres avec plus d’inquiétudes et beaucoup d’autres entre les deux.
Il faut beaucoup de patience pour permettre à un enfant de grandir; il n’en faut pas moins pour permettre à de nouveaux parents d’apprendre à être parent. Tranquillement, les milliers de fines connaissances concernant cet enfant-là s’accumulent. On le voit s’agiter de plus en plus et on sait qu’il est fatigué. Ou alors qu’il a faim. On pose nos yeux sur lui et on sait qu’il a chaud, qu’il a froid. On se trompe rarement.
Quand on atteint ce niveau de connaissance de notre bébé, on sent se déployer en nous un délicieux sentiment de compétence. La plupart du temps.., en tous cas. 🙂 L’anxiété diminue et le plaisir grandit… presque sans fin!
Mais les deux ou trois premiers mois de ces nouveaux parents sont si fragiles! Ils ressemblent au jardin d’avril dont la terre est si meuble et gorgée d’eau qu’il nous faut éviter de marcher dessus, sous peine de tasser la terre au point de ne pas pouvoir y semer quoi que ce soit. Juste sous la surface, la tête des premières tiges est en train de se faire un chemin vers la lumière. Nous sommes si nombreux à piétiner ce jardin naissant; et avec les meilleures intentions du monde. Au bout du compte, il reste peu d’espace pour apprendre à être parent.
Précieuses erreurs des nouveaux parents
Être les nouveaux parents d’un enfant ne ressemble à rien d’autre. C’est une œuvre d’art que chacun·e doit inventer, créer, édifier, peaufiner. Non pas qu’il n’y ait pas de points communs entre toutes les mères ou pères, bien au contraire! C’est le chemin de parentage qui se creuse à l’intérieur de nous qui est unique. Il est fait de cet enfant-là et de ce que nous sommes aujourd’hui, mais également de notre propre enfance. C’est pourquoi chacun de nos enfants connaît un parent différent. Ce sentier porte le meilleur de nous, et aussi le pire. Finalement, ce sentier ne peut se tracer qu’à force d’essais et d’erreurs.
Ces erreurs si précieuses qu’il nous faut faire! Nous avons besoin d’espace et de temps pour faire des essais et nous réajuster. Faire d’autres essais puis d’autres encore. Je parle de l’espace libéré quand les autres ne passent pas de commentaires. L’espace que créent les regards d’encouragement et de non-jugement. Cet espace-là nous donne le temps qu’il faut pour apprendre à être parent.
Protéger cet espace
Je me suis demandé pourquoi le papa du petit Fred n’avait rien dit pour protéger la mère de son bébé. Mais je réalise que lui aussi est en train d’apprendre. Il n’est pas encore sûr de lui, ou de sa compagne. Et Dieu sait comme il faut être solide comme parent pour contrecarrer sa propre mère. Mais pourquoi toutes les autres personnes présentes avaient-elles laissé faire cette catastrophe sans rien dire ? On venait de piétiner une jeune pousse et personne ne s’en était scandalisé.
Combien de fois ai-je moi-même étalé mes connaissances et mes bonnes intentions dans le jardin de nouveaux parents ? Aujourd’hui, je fais de gros efforts pour ne jamais offrir de conseils non sollicités. Je veux être celle qui préserve l’espace autour des parents, pas celle qui l’occupe. Je n’y arrive pas toujours, c’est vrai. Mais ça aussi, ça s’apprend.
Attention : cette histoire est dangereuse !
La jeune mère qui m’a raconté cette histoire il y a une dizaine d’années m’avait d’abord assurée que je pouvais la raconter dans ce blogue. Sa belle-mère est anglophone et les chances qu’elle tombe dessus étaient extrêmement minces. J’avais modifié son nom, même si la jeune femme en question n’en voyait pas l’utilité. Sauf que sa belle-mère est tombée dessus l’a lu et s’est reconnue. Et en a été choquée. La pression a été tellement forte sur cette jeune femme qu’elle m’a reproché d’avoir raconté son histoire. Même si elle m’en avait donné la permission; et même si je n’avais pas utilisé son nom. Ça nous donne une idée de l’intensité de la réaction de la belle-mère. Encore aujourd’hui, cette réaction me laisse bouche bée. Au lieu de se désoler d’avoir pu heurté le sentiment de compétence de sa belle-fille, elle se scandalise de se le faire dire.
À toutes les mères, belle-mères ou tantes qui liront cet article, je vous jure qu’il ne s’agit pas de vous… 🙂
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