Si vous êtes un parent d’enfant en difficulté, on vous a probablement suggéré de faire évaluer l’enfant, afin d’obtenir un diagnostic. On vous présente cette évaluation comme une étape incontournable; la seule chose à faire maintenant qu’on est tous d’accord pour dire qu’il y a un problème. Sauf que ce n’est pas nécessairement vrai.
Malgré l’insistance de tous, il est peut-être utile de réfléchir aux impacts d’un diagnostic. Pour l’enfant, son parcours scolaire, son avenir. Également, l’impact pour sa famille, ses frères et soeurs et les relations de l’enfant avec tout ce monde-là. Il n’y a pas que des avantages à obtenir un diagnostic pour un enfant en difficulté.
Obtenir un diagnostic : le parcours du combattant
Pour obtenir ce diagnostic, il faudra faire des évaluations. Le temps d’obtenir un rendez-vous avec l’un puis avec l’autre, il peut s’écouler des mois, voire une année entière, avant qu’un diagnostic soit établi par un professionnel. Si les évaluations datent de plus de huit mois, on demandera au parent de retourner en faire de nouvelles, les informations de la première évaluation étant considérée comme périmée par le médecin ou le pédopsychiatre.
Selon Mme Line Laplante, professeure à la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université du Québec à Montréal (1) « … une telle démarche peut correspondre, dans le temps, à un délai de 6 mois à 1 an pour obtenir un rapport d’évaluation orthophonique ou un rapport d’évaluation psychologique. De plus, pour que l’identification soit faite, il faut que le jeune ait accumulé suffisamment de retard scolaire. »
Des montagnes russes qui durent plusieurs années
Il est rare que le premier diagnostic soit le bon. Après quelques mois d’un plan qui ne fonctionnera pas, on retournera faire évaluer l’enfant avec une nouvelle hypothèse en tête. Une autre année s’écoulera avant d’avoir un deuxième diagnostic. La plupart du temps, on arrivera au « bon » diagnostic au troisième essai. Cette course à obstacles aura duré entre trois et cinq ans.
À chaque évaluation, les parents seront anxieux. À chaque diagnostic, ils seront soulagés et pleins d’espoir pour la suite. Quand il faudra retourner aux évaluations parce que ce diagnostic n’est pas le bon, le parent d’enfant en difficulté vivra de la déception, le retour de l’anxiété et un peu plus d’usure émotionnelle. De vraies montagnes russes émotionnelles.
L’impact sur le couple parental
Même si personne n’en parle jamais, ce parcours du combattant aura un impact certain sur la relation conjugale des parents. Il n’est pas rare que leurs avis divergent sur les décisions à prendre pour la suite des choses. Chacun aura l’impression, à raison, que c’est tout l’avenir de son enfant qui est en jeu et les discussions pourraient devenir agressives et, dans ce temps-là, on peut dire des choses terribles qu’on regrette d’avoir dites.
L’expérience nous apprend que de nombreux couples ne résistent pas aux pressions et aux doutes qui jalonnent la quête d’un diagnostic. Comment se fait-il qu’aucun des experts dans le dossier n’en tienne compte ni n’offre du support d’emblée? En se répétant que leur mandat concerne l’enfant. Les différents intervenants dans le dossier verront la famille s’effriter au fil des années sans rien faire. Comment peut-on croire qu’il est possible de travailler avec un enfant sans travailler aussi avec ses parents ?
Le prix que paie le parent d’enfant en difficulté
En plus de dépenser une quantité non négligeable d’énergie sur les rendez-vous médicaux, les rencontres avec chacun et l’enseignante, ces parents-là ont toutes les chances de devoir aussi traverser une séparation. Avec toute la charge émotionnelle qui vient avec. Et, bien sûr, leur vie n’en sera pas facilitée; même s’ils l’ont cru. Cette séparation ne sera pas sans effets sur l’enfant et sur la manifestation de ses difficultés. Comment ça se fait qu’on ne parle jamais de tout cela quand on propose des évaluations?
Au fond, pour le parent d’enfant en difficulté, qu’est-ce que le diagnostic changera? Il vit déjà avec cet enfant depuis des années; il a très probablement trouvé les façons de faire qui facilitent leur vie quotidienne ensemble. Ce parent connaît tellement bien son enfant qu’il peut s’adapter rapidement aux changements d’humeur ou de comportements de son enfant. Il reconnaît les signaux d’alarme; il sait comment l’apaiser.
Ce parent n’apprendra pas grand-chose de la bouche des experts sur la réalité des difficultés de son enfant! Pourtant, il y a toutes les chances qu’on le traite comme un ignorant. Il sera chanceux s’il tombe sur un expert qui accorde de la valeur à ses observations et ses commentaires.
Du répit s’il vous plaît!
Ce dont ces parents-là ont besoin, c’est de répit! D’encouragement, de partage d’expériences avec d’autres parents dans leur situation. Ils ont besoin qu’on reconnaisse leur compétence, leurs connaissances, mais aussi leur fatigue et leurs moments de désespoir.
On leur propose plutôt de partir à la recherche exténuante d’un diagnostic qui sera surtout utile à d’autres. Ce diagnostic les placera devant des décisions à prendre qu’ils n’ont peut-être pas envie de prendre. Ou qu’ils ne se sentent pas prêts à prendre. Comme celle de médicamenter l’enfant ou pas.
Il y a certainement des avantages à l’obtention d’un diagnostic. Mais il y a également un prix émotionnel, social et familial à payer. Le parent d’enfant en difficulté a le droit de soupeser tout cela avant de décider ou pas de partir à la recherche d’un diagnostic pour son enfant.