Combien de garçons ont pu traverser cette énième année d’école grâce au hockey ? À la musique ? À la planche à neige ? Et par quelle grâce un tel enfant peut-il enfin ouvrir ses ailes ? Combien de filles se sont traînées chaque jour dans une salle de classe plate-à-mort, en songeant à la prochaine photo qu’elles prendraient. La prochaine course de vélo de montagne. La cabane à construire peut-être? Combien d’enfants ont les ailes complètement froissées par notre système scolaire ?
Mon ami Claude a été de ceux-là. Il adorait jouer au hockey dans son adolescence. Un jour que nous étions par hasard dans sa ville natale, aux portes de l’aréna municipal. Il m’a raconté cet ado de quinze ans, portant le chandail des Vics de Granby, et qui n’arrivait pas à croire à sa chance d’être là, sur la glace, à faire ce qu’il aimait le plus au monde.
Ouvrir ses ailes sur une patinoire
Il attendait les jours d’entraînement avec hâte. Arrivé dans le vestiaire des joueurs, il enfilait d’abord chaque pièce d’équipement méticuleusement ; comme on se prépare à donner le meilleur de soi. Mais le vrai moment de pur bonheur surgissait ensuite, en posant le bout de son patin sur la glace. Alors, descendait sur lui la grâce que connaissent tous ceux qui pénètrent en un lieu sacré.
Dans son élan vers le centre de la patinoire, prenant de la vitesse à grands coups de patin, arrivait le moment d’ouvrir ses ailes, si froissées sur les bancs d’école. Au moment du premier coup de sifflet, dès cet instant-là, il s’envolait ! Pour lui, il n’y a pas eu beaucoup de joie comparable à celle-là dans sa vie.
Cinq jours par semaine, il se traînait jusqu’à l’école et recevait 100 fois par jour tous les signaux qu’on lui envoyait sans cesse à propos de ses incapacités et des déceptions qu’il ne cessait de susciter.
Vivre avec des adultes qui croient que nos ailes sont cassées
Comme il faut de force à tous les Claude, les Mathilde, et autres Mathéo de ce monde, pour vivre chaque jour avec des adultes qui croient que leurs ailes sont cassées. Ils se font dire de travailler encore plus fort pour en faire pousser d’autres, alors que les leurs sont intactes… mais qu’il n’y a plus personne pour les voir.
Dans les camps de jour, cet été, des centaines de jeunes hommes et femmes deviendront les gardiens de cette échappée inespérée. Puissent-ils préserver l’espace nécessaire au défroissement. Pour qu’au moins un enfant puisse ouvrir ses ailes. Des ailes ratatinées par toutes les politiques de « réussite de l’élève ». Je sais qu’ils et elles seront émus par la joie qui jaillit quand, secouant leurs ailes, ces enfants s’élancent vers le soleil dans un cri sauvage.
Enfin déployés.
Finalement, tous les humains ont des ailes. Il faut le leur dire.