Écouter semble être une habileté en voie de disparition. C’est Marie qui a besoin de parler du dernier rendez-vous de son fils à la clinique et qui se fait abreuver de conseils. C’est Pierre qui a envie de raconter son voyage de pêche et qui se fait couper par le récit du voyage de pêche de son interlocuteur. Et c’est Karine qui veut dire à quelqu’un à quel point elle est fatiguée, mais, au lieu d’écouter, son interlocutrice lui offre la description détaillée de sa propre fatigue. Ça vous rappelle une expérience personnelle? Pas surprenant.
Quelqu’un me faisait remarquer l’autre jour que nous apprenons beaucoup aux enfants à parler, mais assez peu à écouter. On leur fait faire des « oraux » devant la classe dès la maternelle et jusqu’à la fin de leurs études postsecondaires, mais on ne leur apprend pas à écouter les oraux des autres. On leur apprend le texte argumentaire, au secondaire, mais on ne leur apprend pas à écouter les arguments des autres afin d’enrichir la discussion. Comment s’étonner qu’une fois adultes, ils ne sachent pas écouter. Écouter vraiment, je veux dire.
Écouter, c’est plus que se taire
Ce qui est bien plus que simplement entendre ou laisser parler. Il ne s’agit pas non plus de réfléchir à ce qu’on va dire pendant que l’autre parle. Ce n’est pas finir ses phrases à sa place. Encore moins lui couper la parole parce qu’on croit avoir déjà compris ce que l’autre veut dire ou lui donner des conseils.
Dans l’action d’écouter, il y a de la résonnance. Comme une goutte d’eau qui atterrit dans un lac et crée des ondes, qui créent des ondes. C’est-à-dire que j’arrête d’être centré sur moi et que je laisse l’autre prendre toute la place. Je cède tout l’espace à ce qu’il a à dire. Et quand deux personnes font cela l’une pour l’autre, ça crée une relation.
Écouter, s’intéresser à l’autre
Le début de l’empathie que nous souhaitons tous enseigner aux enfants, c’est écouter. Si j’écoute vraiment, je suis transformée par les mots de l’autre, parfois peu, mais parfois beaucoup; je me laisse atteindre et peut-être déranger par ce que l’autre me dit. Dans cette vidéo des expériences de Michael Tomasello et Felix Warneken de l’institut Planck (Leipzig, Allemagne), célèbres pour avoir mis en évidence le caractère spontané de l’empathie chez les jeunes enfants entre 10 et 14 mois, on voit des touts petits confrontés à un adulte inconnu en difficulté. On voit bien qu’il ne se précipite pas; il prend le temps de regarder pour bien comprendre ce qui se passe. C’est précisément parce qu’il prend tout son temps qu’il deveint capable de se laisse toucher par la détresse de l’autre. Alors, sa réponse concerne l’autre : ouvrir une porte ou ramasser un objet. Tout cela révèle une écoute réelle.
Quelqu’un qui écoute?
Écouter, c’est accepter de quitter notre point de vue pour rencontrer l’autre avec humilité. C’est donc aussi s’intéresser à ce qu’il nous dit de lui. Ce devrait être la base de nos relations avec les intervenants, médecins et enseignants. Mais ce n’est pas le cas.
En cette ère d’isolement généralisé, des millions de personnes se rabattent sur le « mur » (!) de Facebook pour enfin s’exprimer. On peut en déduire que les humains manifestent un urgent besoin d’être entendu. Mais lire les commentaires de n’importe quel post, c’est voir révélé la profondeur de l’égocentrisme humain. On n’y parle que de soi. C’est tellement vrai qu’en cherchant une photo pour illustrer ce texte avec le mot clé « écouter », la banque de photo m’a proposé 2198 images. Et 2189 d’entre elles présentaient une seule personne avec des écouteurs sur les oreilles! Conclusion, écouter semble être une activité qu’on fait tout seul.
Cependant, si nous voulons que quelqu’un nous écoute, il faudra bien que nous écoutions les autres.