La voie de l’apprentissage et du développement de la personne est une route semée d’embûches. Parmi les nombreux obstacles qui y apparaissent se trouvent notre propre égo et la mentalité fixe qu’il nourrit. Et bien sûr le désir ardent de prouver qu’on a raison. Nous portons en nous une image de ce que nous croyons être, de notre valeur. Pour préserver cette identité, nous pouvons nous transformer en cerbères!
Il y a une trentaine d’années, j’étais chroniqueur au journal La Presse. Dans cette colonne, j’ai un jour dénoncé les « trous » de la formation générale au secondaire, et particulièrement en Histoire. Sans le savoir, j’avais heurté la susceptibilité de bien des profs d’histoire. Sauf que madame Desmarchais, qui enseignait l’histoire à l’école secondaire que j’avais fréquentée, m’attendait de pied ferme quelques mois plus tard.
Prouver qu’on a raison change-t-il quelque chose ?
C’était les retrouvailles de ma cohorte et madame Desmarchais m’a littéralement sauté dessus. Se plaçant devant moi pour m’empêcher d’avancer, elle m’a dit que ma déclaration était fausse et que les cours d’histoire étaient excellents. Devant mon désaccord, elle insistait pour que je reconnaisse que nous avions appris beaucoup de choses en Histoire. Je vous passe les détails de l’échange, mais elle m’a harcelé jusqu’à ce que je lui dise, en effet, que nous avions appris beaucoup de choses en Histoire.
Madame Desmarchais n’était pas vraiment en train de parler du cours d’Histoire, évidemment; ni même de la qualité de son enseignement. Elle parlait d’elle-même et de l’idée qu’elle porte à propos d’elle-même. Prouver qu’on a raison en public est exhaltant! Devant son sourire triomphant pour avoir gagné l’argument, je n’ai pas pu m’empêcher de lui demander : « Et maintenant que j’ai dit que vous aviez raison, croyez-vous vraiment que cela a changé quelque chose à ma position au sujet du cours d’Histoire? »
Je comprends tellement ce qui s’est passé pour madame Desmarchais ! Parce que moi aussi je me suis souvent colletaillé avec d’autres pour avoir raison. Dans des discussions entre collègues; autour d’un plan d’intervention avec lequel je n’étais pas d’accord. Quand ce que j’avais proposé n’avait pas fonctionné et que ma mentalité fixe me donnait l’impression que j’étais cet échec. Je n’arrivais pas à séparer qui je suis de ce que je fais. Il était donc inévitable que je refuse d’avoir tort ou de m’être trompé. Dans ce temps-là, on veut prouver qu’on a raison.
Faire une pause crée de l’espace
Il est possible que, lors d’une discussion, on en arrive à la conclusion que ce sont les limites de mes compétences qui sont un problème. Si toute l’équipe travaille à préserver le bon alignement dans une mentalité d’apprenant, ce sera clair pour tout le monde (et pour moi!) que je ne suis pas le problème, mais bien mes compétences. Si nous sommes en recherche de solution, alors on plourra se demander qui a les compétences nécessaires ou comment faire pour que je les acquière.
Quand on sent l’accélération des battements cardiaques qui vient avec la posture de défense, on peut être pas mal certain que nous nous préparons à prouver qu’on a raison. Il est temps de prendre une pause. Arrêter la discussion pour vrai et faire une pause. Pendant ces quelques minutes, il nous sera possible de nous rappeler que nous pouvons poursuivre les discussions même si nous ne statuons jamais sur « qui a raison ».
Madame Desmarchais n’avait pas à être d’accord avec moi. Pour que l’échange soit fructueux, elle n’avait pas à me donner raison. Ni à me convaincre qu’elle avait raison. Quand cette question de « Qui a raison? » est simplement tassée, nous entrons dans un véritable espace d’échange. Un espace où nous pouvons apprendre et envisager d’autres points de vue, sans se sentir obligé de prouver qu’on a raison.
Dans cet espace d’échange qui est créé par la pause apparaissent d’autres questions. Ces questions cherchent à déterminer ce qui fonctionne ou pas. Avec ce genre de question, tout le monde reste dans le sujet. Et tout le monde préserve le sentiment de sa valeur propre sans avoir à prouver qu’on a raison.
Des questions qui aident
- Qu’est-ce qui a bien fonctionné?
- Comment pourrait-on faire autrement la prochaine fois ?
- À quel moment ça s’est mis à moins bien fonctionner?
- Qu’est-ce qui a moins bien fonctionné ?
- Examinons le processus complet pour voir où se trouve la difficulté.
- Faisons une tempête d’idée pour faire les choses autrement la prochaine fois.
- Qui d’autres pourrait nous donner un avis éclairé sur la question ?
- Qu’est-ce qui pourrait être retiré/ajouté dans le processus ?
- Est-ce qu’on a essayé assez longtemps?
- Est-ce qu’on a essayé assez fort?
- Qu’est-ce qui nous donnerait plus de chance de succès ?
La mentalité fixe veut absolument avoir raison
C’est exactement ce qui se passe dans une mentalité fixe. Nous nous attachons si peu au processus, que nous plaçons toute notre valeur dans le résultat. Quand ça ne fonctionne pas, nous croyons que nous sommes l’erreur. En développant une mentalité de croissance, nous arriverions à considérer les erreurs comme de véritables occasions d’apprendre. Des occasions de progresser et d’élargir notre vision.
Car chaque fois que nous avons peur de perdre notre valeur, nous arrêtons d’écouter. Nous nous plaçons au centre pour prouver qu’on a raison. Et le véritable sujet de discussion devient un élément satellite. Personne n’avance alors, et nous sommes simplement incapables d’avoir des échanges fructueux. Nous voulons prouver qu’on a raison. Sur ce sentier de l’égo, la réalité nous importe peu. Nous utilisons tout ce qu’on peut pour confirmer notre position, certainement pas pour la remettre en question. Sauf que ces échanges sont stériles, bien sûr.
Nous pouvons pourtant discuter sans chercher qui a raison. Nous pouvons même le faire sans que personne n’ait raison! En cessant simplement de chercher à déterminer qui a raison et qui a tort, nous pouvons poursuivre la discussion sans que notre égo nous aveugle. Alors nos discussions résoudront véritablement les problèmes au lieu de les distribuer.
L’humilité est le seul espace d’apprentissage
Pour progresser et apprendre, il faut arrêter de vouloir prouver qu’on a raison. Accepter parfois de perdre des illusions; d’abandonner des croyances bien enracinées. Dans certains cas, ces illusions et ces croyances concernent l’image que nous avons de nous-mêmes. Et il peut être difficile de renoncer à l’idée qu’on se fait de soi. Surtout s’il s’agit également de renoncer à une partie de notre vision du monde.
Aujourd’hui encore, la tentation de prouver que j’ai raison me guette. La tentation, surtout, du sentiment de triomphe quand je réussis à faire dire à l’autre que j’ai raison. Tout le monde connaît ces moments-là. J’essaie d’être vigilante. À force de porter attention au processus, j’arrive maintenant à me voir être tentée d’avoir raison. Et j’arrive à créer assez d’espace de plus en plus souvent. C’est déjà ça. 🙂
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