Un jour, j’ai reçu un courriel qui dénonçait  le fait qu’une juge anglaise ait accepté de changer l’identité de deux jeunes hommes de 21 et 22 ans. Si les monstres existent, l’auteure du courriel en désignait deux ici. Ils avaient été condamnés douze ans plus tôt pour un crime horrible. C’était en 1993; un jeune garçon de 3 ans, Jamie Bulger, avait été enlevé dans un centre d’achats de Liverpool par deux jeunes garçons de 10-11 ans qui l’ont torturé; puis mis à mort en l’étendant sur la voie ferrée juste avant le passage du train. Une histoire absolument affreuse qui a profondément traumatisé toute l’Angleterre! En 2005, madame la juge Butler-Sloss a redonné l’anonymat à ces deux garçons en leur permettant de sortir de prison avec de nouvelles identités. Le ton du courriel que j’ai reçu, lui, était scandalisé:

…  Ils se sauvent de leur crime! Ils ont pris la vie de Jamie de façon dégueulasse et violente et, en retour, ils ont une nouvelle vie! Il faut protéger nos familles et amis de créatures comme Robert et John!

J’ai été aussi surprise que désolée de voir qu’il y avait déjà 447 signatures au bas de la pétition qui exigeait qu’on les garde enfermés pour toujours.

 

Et si les monstres existent

Peut-être croyez-vous que ces deux jeunes hommes sont des monstres et qu’ils n’appartiennent pas au même monde que nous. Ils en viennent pourtant, puisqu’il n’y a qu’un seul monde. Si les monstres existent, nous faisons tous partie du monde dans lequel ils sont apparus. C’est chacun et chacune de nous qui avons construit ce monde et nous sommes responsables de tout ce qu’il génère. Y compris des personnes qui commettent des crimes horribles. Nous sommes donc également responsables de nous en occuper, au lieu de regarder ailleurs en jetant la clé.

Comme il nous est facile de désigner le mal à l’extérieur de nous. Mais alors, où trace-t-on la ligne qui nous en sépare ? Comment déterminerons-nous ce qui est « mal »? L’expérience millénaire des humains a démontré que dès qu’on se met à séparer ceux qui sont inacceptables des autres, on finit toujours par élargir la définition de l’inacceptable à tout ce qui  dérange. Après les meurtrier et les fous, se sera le tour de qui? Si les monstres existent, comment déciderons-nous de ce qui fait un monstre ?

si les monstres existent

Ne sommes-nous pas toujours le monstre d’un autre ?

Nous sommes tous et toutes le « mal » d’un autre. Votre enfant qui n’arrête pas de mordre ses camarades à la garderie. Votre fille qui en a calomnié une autre sur facebook et l’a poussé à une tentative de suicide. Vous-même, qui détournez les yeux d’un itinérant couché sur le trottoir à -30°C.

Si les monstres existent, alors il semble bien difficile de les distinguer des autres, non ?Si le mal ne nous habitait pas, nous ne le reconnaîtrions pas quand on en voit la manifestation.

Madame la juge Butler-Sloss a pris une sage décision concernant l’attribution d’une nouvelle identité pour ces jeunes personnes. C’était une décision qui allait dans le sens de la vie et du bon sens. Douze ans plus tard, prêts à sortir et à fonctionner dans la communauté, il fallait leur permettre de mener une vie utile. Parce que c’est aussi une forme de « réparation » que d’être utile à nos semblables.

Je ne suis pas en train de dire que ce crime n’était pas monstrueux et odieux. Ou de dire qu’il ne fallait pas les envoyer en prison (psychiatrique dans ce cas-ci). Je suis en train de dire que pendant qu’on s’entête à désigner le mal en-dehors de nous, on ne s’occupe pas de celui qui nous habite.

Si les monstres existent, celui qui nous habite est le seul sur lequel nous ayons le pouvoir d’agir.

France Paradis

France collabore régulièrement au magazine Naître et grandir et au site Maman pour la vie. Elle offre un éventail de formations aux intervenants sociaux de nombreux champs de disciplines. Vous trouverez les détails ci-haut, sous l'onglet "Formations intervention sociale"

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