Qu’on appelle cela une suggestion, un conseil ou une recommandation aux parents, ça revient assez souvent à leur dire quoi faire. On le fait gentiment, doucement, avec bienveillance même. Mais peu importe l’emballage, se faire dire quoi faire n’est jamais intéressant. En plus, ça ne marche à peu près jamais. Pourtant on continue de le faire à tout moment avec les parents, même si on sait que personne ne veut se faire dire quoi faire, stout pas nous.

Oui mais, me dit une éducatrice en CPE, les parents en demandent!

Quand les parents ont l’air de demander conseil

Quand un parent nous dit Je ne sais pas quoi faire, elle n’est pas en train de demander conseil. Elle est en train de nous parler d’elle, de sa détresse en ce moment. Elle est en train de partager avec nous son ardent désir d’être un bon parent et de savoir quoi faire.

recommandation aux parents

Quand une femme en maison d’hébergement nous dit J’ai tout essayé et rien ne fonctionne, elle n’est pas en train de nous demander ce qu’elle pourrait essayer. Elle nous partage son état, son désir de trouver, son besoin d’être soutenue et encouragée.



Saisir cette occasion de partager pour le transformer en transmission de conseils et passer une autre recommandation aux parents, nous ratons une formidable occasion de créer et nourrir un lien de confiance avec ce parent.

La confirmation de leur incompétence

Si elle voulait qu’on lui fasse une recommandation, elle le demanderait. Comme dans As-tu une idée de ce que je pourrais faire? As-tu une suggestion à me faire? Ça n’arrive pas souvent. Et même quand ils demandent clairement quoi faire, le leur dire leur envoie le message de confirmation de leur incompétence. Car, même quand ils demandent clairement notre avis, le plus souvent ils sont encore en train de nous parler de leur désir d’être un bon parent. La meilleure réponse à leur faire, c’est peut-être de leur rappeler que vous avez confiance en eux, de les faire parler de ce qu’ils ont déjà essayé afin qu’ils s’entendent eux-mêmes faire le tour de la question.


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Les conseils ne changent pas les comportements

Les conseils n’amènent pas forcément non plus à un changement de comportement chez le parent que l’on veut aider. Changer est très difficile, même pour les intervenantes! Même lorsqu’ils sont basés sur des faits incontestables les suggestions pour améliorer notre vie n’ont pas l’effet que l’on pourrait espérer. Autrement, personne ne fumerait, ne boirait à l’excès ni ne conduirait trop vite. De nombreuses expériences de la psychologie sociale le montrent.

L’une des plus « célèbres » est celle menée par Peterson, Kealey,Mann, Marek et Sarason (2000) dans le cadre d’un programme de prévention contre le tabagisme (projet Hutchinson). 8388 enfants ont été suivis tout au long de leur scolarité (de l’équivalent du cours élémentaire au CEGEP). La moitié d’entre eux ont été exposés sur leur temps scolaire à pas moins de 65 interventions de professionnels, représentant environ quarante-six heures dévolues à la prévention du tabac (ces risques, conséquences, recommandations, etc.). Les autres enfants (l’autre moitié du groupe) ne bénéficiaient pas de ces interventions.


Malgré les soixante-cinq heures de formation sur les dangers du tabac, une fois à l’âge adulte, la proportion de fumeurs était la même dans les deux groupes, que les jeunes gens aient reçu ou non ces sessions d’information et de prévention du tabagisme. Toutes ces informations et conseils n’ont donc pas changé leur comportement.

Une recommandation aux parents est rarement utile à ce parent
misere et pauvrete

Il y a un vieux proverbe d’Afrique du Nord qui dit qu’on ne peut pas conseiller ni juger quelqu’un à moins d’avoir marché un kilomètre dans ses souliers. Ça nous rappelle simplement que notre vision des besoins et de la situation des personnes n’est jamais complète. Que les apparences sont trompeuses.

Nous ne savons pas tout, même quand nous avons l’impression de la connaître très bien. Parce que ce qui convient à tout le monde convient rarement à une personne en particulier. La vie parentale n’est pas balisée par les normes qu’on trouve dans les manuels.

De plus, notre vision est brouillée par notre propre expérience, personnelle et professionnelle; par nos préjugés et nos croyances. Quand on s’exclame que la chose à faire est évidente, nous rendons sonores ces préjugés et ces croyances. Nous avons souvent tendance à livrer des conseils et suggestions en vrac, sans avoir marché un kilomètre dans les souliers de ce parent.

Notre bienveillance se transforme en jugement

Ça vous est probablement déjà arrivé : on vous donne un conseil non sollicité; vous vous rendez compte tout de suite que la personne en face de vous ne comprend pas du tout votre situation; et c’est la fin de la conversation. C’est le sentiment d’être jugé qui met fin à notre désir de discuter et de partager.

Quand nous présentons (encore) une recommandation aux parents sans avoir fait un kilomètre dans leurs souliers, notre désir sincère d’aider est reçu comme un jugement accompagné de mépris pour leurs ressources.

Avant de nous lancer dans la distribution bien intentionnée de recommandations et de conseils aux parents, il serait sans doute utile de nous rappeler ces trois choses:

  • Dire quoi faire aux parents confirme leur incompétence puisqu’ils n’y arrivent pas sans notre expertise.
  • Les recommandations changent rarement les comportements
  • Une recommandation aux parents est le fruit de données statistiques qui déterminent une norme. Ces normes n’ont aucun rapport avec la réalité parentale.

Des fois, je me dis qu’en les écoutant plus souvent sans rien dire, on pourrait tous apprendre pas mal de choses. 🙂

France Paradis

France collabore régulièrement au magazine Naître et grandir et au site Maman pour la vie. Elle offre un éventail de formations aux intervenants sociaux de nombreux champs de disciplines. Vous trouverez les détails ci-haut, sous l'onglet "Formations intervention sociale"

Cet article a 2 commentaires

  1. Josée Mignault

    France,
    Ton article me questionne beaucoup. Je suis dans le thème de la discipline ce mois-ci avec les parents et je leur donne (au groupe en général) différents trucs et outils pour faciliter leur quotidien. Je présente ces idées en leur disant que j’ai la chance d’avoir plusieurs formations et de pouvoir prendre le temps de lire différents livre dans mon travail, ce qu’ils ne peuvent pas faire autant dans leur vie de parents. Je leur spécifie toujours que ces trucs peuvent ne pas être pour eux, selon leur contexte, leurs valeurs, leur style de vie, etc. Et pourtant, je ne sens pas que je les juge dans leur compétence parentale… Je devrais amorcer une remise en question…

    1. France Paradis

      Chère Josée,
      Ce sont les intervenantes qui sont les plus soucieuses de leur rapport avec les parents qui se questionnent le plus! Et ce sont souvent celles qui en ont le moins besoin. 🙂
      Ce que je comprends, c’est que tu ne leur dis pas quoi faire; tu leur proposes les idées et trucs que tu as glanés pour eux. Voilà une façon de faire qui respecte leur compétence parentale dans la mesure où ces options sont offertes, tout simplement et non pas fortement suggérées.
      Je suis certaine que tu ne les juges pas. Mais l’expérience m’a appris que leur sentiment de compétence n’est pas déterminé par nos intentions, malheureusement.
      Si je pouvais te faire une suggestion (!) je te proposerais de commencer avec ce qu’ils ont déjà essayer afin qu’ils puissent partager leurs expériences entre eux; raconter ce qui a bien fonctionné ou pourquoi ça n’a pas fonctionné. Vous pourriez même faire une liste avec laquelle chacun repartirait. Apporte aussi ta liste à toi et partage-la à ce moment-là, après le partage d’expériences. Son contenu devient alors une bonification de leurs propres ressources plutôt qu’une autre chose à ajouter à la liste de choses à faire pour être un bon parent. Est-ce que j’explique ma pensée clairement?
      On leur donne un sentiment d’incompétence quand on ne leur offre pas l’occasion d’avoir accès à leurs ressources avant de leur en proposer qui viennent de « l’extérieur ». À l’inverse, en les écoutant longuement parler de ce qui est difficile ET de ce qu’ils ont essayer jusqu’à maintenant pour le résoudre, ces parents se rendent compte de tout ce qu’ils savent déjà et ce que ces expériences leur ont appris.
      J’espère que ça t’aidera et que tu ne te plongeras pas dans une remise en question trop sévère de ta pratique, qui est vraiment soucieuse du parent.

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