Faut-il savoir lâcher prise ? Ou faut-il plutôt se plier à la tyrannie du Never give up ?Le père d’un enfant autiste de neuf ans est déterminé à ce que son fils fréquente l’école régulière. Depuis le CPE, il se bat, fait valoir ses droits, pousse ici et tire là. Il mène un combat presque quotidien contre le système scolaire, les préjugés, les limites du ratio de classe, les pourvoyeurs de services de support. Les résistances qu’il rencontre semblent le galvaniser. Beaucoup seront d’accord pour dire que la cause est juste et noble.

Beaucoup ont de l’admiration pour lui. Je suis de ce nombre. Mais quand je vois sa famille, ses deux autres filles qui disparaissent dans ce combat… Quand je vois le prix que toute la famille paie pour poursuivre ce combat…  La tension permanente, l’agressivité, la rupture de communication avec l’école. Sans compter les disputes, l’épuisement, l’anxiété des deux petite soeurs. Je me demande s’il ne devient pas urgent de créer assez d’espace pour lui afin de permettre une réévaluation de la situation. Quand je lui en fait la suggestion, il me répond : Never give up! C’est le secret.

Interdit de lâcher prise

N’abandonne jamais! Ces temps-ci, on trouve un foisonnement de vidéos qui nous le répètent inlassablement !  En anglais ou en français, ces champions·nes de la réussite (apparente) nous assènent sans relâche ce mot d’ordre qui devrait tout changer, tout résoudre, tout permettre. Never give up, no matter what. Ne jamais lâcher, quoi qu’il arrive.

On nous abreuve d’images qui montrent la souffrance, la fatigue, l’épuisement, puis la révélation. Nous devons alors comprendre que ceux et celles qui atteignent leur but sont ceux et celles qui ne lâchent jamais. Jamais. Qui persistent. Qui s’entêtent, malgré les obstacles et les reculs. Never give up! Le coureur qui se claque le muscle de la cuisse et termine sa course olympique. Ou encore le jeune paumé et intoxiqué qui est devenu un conférencier riche. La jeune danseuse qui perd une jambe dans un accident de voiture et remonte la pente pour devenir médaillée en gymnastique au sol. L’obèse morbide qui se met au yoga et finit avec un corps de demi-dieu.

On les regarde et on se dit « Wow! Oui, on dirait bien que c’est ça le secret. » Never give up. Ne jamais lâcher.

Sous-entendu que ceux et celles qui lâchent… sont des lâches. Que si tu veux vraiment, tu peux. Et que la valeur de la personne est liée à ses accomplissements spectaculaires face à l’adversité. Il s’agit de trois assertions fausses qui créent des dommages souterrains dans la vie et le cœur de tous ceux et celles qui font de leur mieux sans atteindre leurs buts, sans réaliser d’exploit. La persévérance mène certainement au succès. Mais la capacité de reconnaître notre impuissance est sa petite soeur !

Never give up…Lâcher prise est-il un échec?

Never give up. On adhère à ce genre d’idées parce qu’on souhaite désespérément trouver une réponse simple aux situations complexes de la vie. On veut croire qu’une consigne aussi simpliste que N’abandonne jamais, est la clé magique qui fait appraître la sortie du labyrinthe dans lequel la vie nous mène parfois. Mais les clés magiques n’existent pas et la meilleure chance qu’on a de retrouver notre chemin, c’est parfois de s’arrêter, respirer, se calmer et appeler à l’aide.

lâcher priseJe ne suis pas en train de dire qu’il faut arrêter de se battre pour nos idéaux et tout ce qui a du prix à nos yeux. Je suis en train de dire qu’on a aussi le droit de renoncer, bifurquer et choisir nos combats. Et ce, sans qu’aucune de ces actions n’altère notre valeur, notre courage, notre force. Il faut parfois plus de courage et de force pour faire face à la réalité que de persister tête baissée.

Ne jamais, jamais lâcher? Ce serait s’exposer à nier la vérité de nos propres limites et de notre contexte. Never give up, ce serait aussi refuser de reconnaître que nous avons le droit de changer d’idée, de nous réenligner, de nous être trompés. Sans compter que ce serait se priver de la possibilité de cueillir la sagesse qu’on trouve dans l’acceptation. On a le droit de s’arrêter assez longtemps pour avoir le temps de se demander si c’est toujours ce chemin qui m’appelle ou si c’est le temps de changer de route.

Pour ne lâcher personne

Comment savoir si nous sommes en train de lâcher prise avant d’avoir donné tout ce qu’on pouvait? Sans doute n’y a-t-il pas de réponse simple. Peut-être que ce qu’il ne faut jamais abandonner, c’est la petite voix qui nous parle à l’intérieur, sans toujours nous dire ce qu’on voudrait entendre. Celle qui nous relie profondément à notre nature humaine avec toutes ses imperfections et ses grandeurs. Celle qui guide les humains dans tous les labyrinthes depuis la nuit des temps.

Peut-être que cette voix est la seule qui nous assure de ne jamais abandonner personne derrière, y compris nous-mêmes.

France Paradis

France collabore régulièrement au magazine Naître et grandir et au site Maman pour la vie. Elle offre un éventail de formations aux intervenants sociaux de nombreux champs de disciplines. Vous trouverez les détails ci-haut, sous l'onglet "Formations intervention sociale"

La publication a un commentaire

  1. Isabelle Brabant

    Merci pour ce texte France. J’en ai marre moi aussi de réentendre toujours cette même phrase. Surtout quand elle vient de la bouche du gagnant. Je voudrais entendre les 999 ou 9999 autres qui ont aussi voulu gagner mais pour qui ça ne s’est pas réalisé. Comment ils voient ça eux? Est-ce qu’ils auraient pu continuer à s’entraîner pour leur plaisir seulement? Plutôt que dans cette folie de compétitivité qui n’accorde de valeur qu’à la « réussite ». Changer d’idée et réorienter ses priorités m’est souvent arrivé. Une chance!

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