La comparaison avec les autres parents fait chaque jour de nombreuses victimes. La belle Élise m’appelle en pleurant l’autre jour. À table, sa fille de 4 ans gigote parfois, mais au souper d’hier, elle a passé les bornes en se mettant debout sur sa chaise. Élise a pogné les nerfs et monté le ton sérieusement, jusqu’à crier. Elle me raconte tout ça et s’emballe dans son récit en alignant toutes les raisons qui font qu’elle n’est pas une bonne mère.  Je suis certaine qu’au même moment, des centaines de milliers de mères en arrivaient à la même conclusion pour elles-mêmes partout en Occident. Mais c’est quoi, son critère d’évaluation? Qu’est-ce qu’elle regarde ? Avec quoi fait-elle la comparaison avec les autres pour arriver à la conclusion qu’elle n’est pas un bon parent?

On se compare. Et je ne vous dirai pas d’arrêter de le faire, parce que ce serait vraiment inutile. Ce genre d’exhortation appartient à la même famille que « N’abandonnez jamais » et « Ayez confiance en vous! » Ça fait de belles phrases, mais ça n’aide personne. Alors, partons du principe que nous nous adonnons tous et toutes à la comparaison. Peut-être, alors, devrions-nous choisir soigneusement avec qui nous nous comparons et sur quels critères.

Les jours où j’ai raté ma vie

Il y a bien des jours où je trouve que j’ai raté ma vie. Ça vous surprend? Ces jours-là, je trouve que beaucoup d’autres ont mieux réussi leur vie : Marie-Ève Paradis, par exemple (aucun lien familial avec moi) qui vient de recevoir un diplôme d’honneur de la Faculté des Arts et Sciences de l’Université de Montréal pour sa contribution à la société, et dont le magazine Planète F est en nomination dans trois catégories pour les Canadian Online Publishing Awards. Wow! Voilà une femme qui rayonne vraiment! Ces jours-là, je me dis que si j’étais vraiment intéressante et pertinente, je recevrais moi aussi un diplôme d’honneur d’une université. Mais je n’en reçois pas et c’est bien la preuve que je ne suis pas aussi brillante qu’elle. Non?

Je vous raconte ça parce que je sais que nous avons toutes des journées qui ressemblent à ça, de temps en temps. Peut-être même en avons-nous souvent. Et ça ne sert vraiment à rien de se dire qu’il ne faut pas se comparer. Cette phrase creuse ne fait qu’enterrer un peu plus la nappe phréatique de déception et de honte qui creuse des tunnels dans notre identité. Comment en sortir, voilà la vraie question.

comparaison avec les autres

Comment sortir de la comparaison avec les autres

Sur quels critères je procède à la comparaison avec les autres?  Marie-Ève et moi n’avons pas du tout le même parcours, mais je crois que nous avons toutes les deux le même objectif : améliorer le monde. Je travaille aussi fort qu’elle. Je suis probablement aussi capable qu’elle. Alors pourquoi aucune université ne m’offre de diplôme à moi? Quand je sombre dans la comparaison avec elle, c’est parce que mon critère est celui de la reconnaissance publique, du rayonnement public, qui est une sorte d’idéal que nous portons collectivement. Dans notre culture, la reconnaissance publique est valorisée démesurément et personne n’échappe à son influence. Mais est-ce bien raisonnable d’évaluer ma vie et mon travail en fonction de ce seul critère de comparaison? Est-ce que le rayonnement public et le nombre de personnes atteintes sont garants de l’amélioration du monde que je porte en moi comme objectif?

Se comparer à la perfection?

Quand Élise fait la comparaison avec les autres, elle aussi utilise la reconnaissance des autres comme critère d’évaluation de sa qualité de mère. Elle lit la surprise dans le regard des invités à table quand elle pogne les nerfs après sa fille de quatre ans. Et alors, comme une vague immense, lui viennent à l’esprit toutes ces images de mères parfaites et d’enfants calmes qu’on trouve dans les livres, les réseaux sociaux et la télévision; toutes les recommandations qu’elle a lues dans les milliers de livres et d’articles, depuis la naissance de sa fille, et qui exigent que nous soyons calmes avec nos enfants.

Son critère de comparaison avec les autres se trouve dans le regard des autres par rapport à un idéal de mère que nous portons collectivement. Notre culture associe les enfants parfaitement sages et contrôlés à un parentage parfait. Dans ces conditions, qui pourrait gagner dans la comparaison?

Qu’est-ce qu’Élise veut vraiment, au fond d’elle-même, dans sa vie de mère? Elle veut que sa fille devienne une femme debout et libre, forte et équilibrée. Voilà ce qui l’habite : que sa fille puisse se déployer pleinement comme femme. Croyons-nous vraiment que la réaction de surprise des invités puisse être un critère d’évaluation de son parcours vers l’éducation d’une femme pleinement déployée? Non.

Pour nous comparer, ne devrions-nous pas plutôt examiner nos actions à la lumière de ce qui nous habite et par rapport à notre point de départ?

La comparaison avec soi-même

La comparaison qu’Élise ne peut pas s’empêcher de faire devrait s’exercer avec elle-même. Suis-je aujourd’hui une meilleure mère que je l’étais il y a 4 ans? Est-ce que j’ai appris? Quand je me retourne, est-ce que je peux constater que j’avance sur le chemin que je veux suivre? Quand je regarde la jeune Élise de 20 ans, ou même celle de l’année passée, est-ce que je peux dire qu’elle a grandi, appris, avancé?  Est-ce que je porte toujours en moi le plus important? Si oui, alors tous les détours auront été utiles; toutes les « erreurs », de précieux enseignements; tous les réenlignements, des pavés qui solidifient la route que je trace pour ce qui m’importe le plus. Dans toutes ces questions, Élise trouvera une évaluation plus juste de sa compétence parentale.Maudite comparaison

C’est avec moi-même qu’il m’est utile de me comparer. C’est même la seule comparaison possible. Les critères de réussite que notre culture valorise ne sont jamais enracinés dans la vie humaine. Ils sont des repères proposés en dehors de tout contexte. Or, rien n’existe en dehors de notre contexte. Nos repères sont faits de notre histoire, de nos liens, de la réalité de notre vie quotidienne. Ces critères n’ont aucun lien avec ce qu’il y a de vivant en nous et appelle le meilleur de nous.

Quand je me retourne

Quand je me retourne, je vois bien que j’ai avancé sur le sentier de l’amélioration du monde. Je crois que j’ai fait du bien à plusieurs personnes. Et ce n’est pas leur nombre qui détermine mon succès. C’est le simple fait d’avoir été fidèle à mon appel, fidèle à ce qui a le plus de sens pour moi. Ce n’est pas le nombre d’abonnés ou de « j’aime » sur mes textes qui importe vraiment. Quand je regarde la jeune France de 20 ans, je la vois qui se décroche le cou pour poser les yeux sur la géante que je suis devenue pour elle. Je la vois pleine d’admiration pour moi, devant le chemin parcouru et tout ce que j’ai appris; pour ma fidélité au précieux qui m’habitait déjà à cette époque. Voilà les véritables critères de succès.

Tout ce que ça change

Mon regard sur le succès des autres change également quand j’entre dans cet espace où j’honore en moi le chemin parcouru comme seul critère d’évaluation. Dans cet espace où je me compare à moi-même, je suis enfin capable de me réjouir pour Marie-Ève. Je suis même fière d’elle! Fière de son impact sur notre société. Ce diplôme d’honneur que l’Université de Montréal accorde à Marie-Ève Paradis est l’occasion de me rappeler qu’elle et moi marchons sur le même sentier, fait de moments magiques où nous avons l’impression de faire une différence et de moments de profond désespoir de ne jamais y arriver.

C’est la même chose pour toutes les Élises de ce monde. Dans cet espace où nous honorons notre propre croissance, les autres mères cessent d’être meilleures ou pires que nous. Nous cessons de les utiliser pour nous trouver nous-mêmes meilleures ou pires. À la place, nous réalisons pleinement que nous ne sommes plus seules sur ce difficile chemin de la parentalité. C’est la seule façon de trouver nos alliées.

Et ça change tout.

 

France Paradis

France collabore régulièrement au magazine Naître et grandir et au site Maman pour la vie. Elle offre un éventail de formations aux intervenants sociaux de nombreux champs de disciplines. Vous trouverez les détails ci-haut, sous l'onglet "Formations intervention sociale"

Cet article a 2 commentaires

  1. Josée Mignault

    Chère France, je peux te dire que toutes les universités du monde peuvent bien garder leurs diplômes honorifiques s’ils ne peuvent détecter quelle personne incroyable tu es ! Tu es très humaine, authentique, près de la vraie vie et tes textes sont des baumes au cœur. Continue ton super travail !
    D’autre part, il est vrai que nous, les humains, avons tendance à nous comparer à tout un chacun alors que la vraie comparaison juste doit se faire avec nous-mêmes. Merci de nous le rappeler avec autant d’humilité et de bonté !

    1. France Paradis

      Merci Josée! 🙂 Je vais essayer de ne pas laisser mon égo sombrer dans l’idée que ma valeur est confirmée par tes mots si gentils… (Caramba! Que c’est difficile! Justement ce que j’expliquais… :))

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